Entretien avec Henri Chibret, fondateur de Théa

Regards Croisés

Henri Chibret, entre la passion pour l’ophtalmologie et la passion d’entreprendre

Henri Chibret

Entretien avec Henri Chibret, fondateur de Théa

Direction Générale

Henri Chibret, entre la passion pour l’ophtalmologie et la passion d’entreprendre laquelle des deux est la plus forte dans votre famille ?

Henri Chibret : Historiquement, c’est la première qui a émergé. Notre aïeul Paul Chibret (1844-1911), fondateur de la Société Française d’ophtalmologie (1883), fut un des pères de la médecine moderne de l’oeil. Ce n’était pas un homme d’entreprise. C’est à la génération suivante que mon grand-père Henry (1876-1943) s’est lancé dans la commercialisation de traitements ophtalmologiques. Le 31 janvier 1902, il obtenait son diplôme de pharmacien. La même année, il ouvrait son laboratoire et, aidé par Paul – tous deux étaient passionnés d’innovation - il mettait au point ses premières pommades et premiers collyres huileux, à base de nitrate d’argent, d’atropine, d’adrénaline, ou encore de pilocarpine.

 

Ce laboratoire, c’était les fameux Laboratoires Chibret ?

Henri Chibret :  En effet. Mais si mon grand-père proposait des remèdes d’avant-garde, son affaire était avant tout un génial laboratoire d’officine. C’est mon père, dans les années 1940, qui va sortir l’enseigne de l’artisanat pour lui faire acquérir la taille d’une entreprise industrielle de dimension internationale.

 

Entre la vente de l’affaire familiale au géant américain MSD en 1969 et Théa, les Chibret ont-ils continué d’entreprendre ?

Henri Chibret :  Plus que jamais car les Chibret ne sont pas faits pour être gouvernés mais pour entreprendre ! Mon frère Jacques a lancé Biophysic Medical qui développera le 1er laser à Argon ophtalmique européen pour le traitement des rétinopathies et le premier laser au monde, le laser Yag, pour le traitement de la cataracte secondaire. Par ailleurs, il va devenir n° 1 dans le domaine de l’échographie oculaire. Pour ma part, je vais me concentrer sur la recherche pharmaceutique, en donnant naissance à Transphyto, la première start-up de recherche-développement française dans le domaine pharmaceutique. Beaucoup de startups disparaissent ou se font racheter. Très peu vont se lancer dans la commercialisation de leurs innovations. Considérant que j’avais un certain nombre de produits de tout premier intérêt, j’ai pris le risque de créer le laboratoire de commercialisation Théa qui fusionnera bientôt avec Transphyto.

 

Le regard sur les entreprises familiales a-t-il évolué ?

Henri Chibret :  Dans les années 1980, les sociétés familiales ont commencé à être regardées comme une forme désuète d'entreprise, renvoyée dans les douves de l'histoire, face à un capitalisme managérial et financier triomphant. Je revois encore un président d'Allergan France m'expliquer que notre entreprise, à l'image d'un autre laboratoire familial français, était une « anomalie » du marché, autant dire une scorie vouée à disparaitre. Sa carrière dans l'ophtalmologie a fait long feu. Aujourd'hui, l'entreprise familiale et indépendante connait un retour en grâce. D'abord, on a réalisé qu'elle restait une réalité importante des économies mondiales. En Europe occidentale, on doit aux entreprises familiales entre 45 % et 65 % du PNB et de l'emploi. Et puis, elles se sont avérées performantes en termes de croissance. Globalement, les consommateurs les considèrent plus impliquées à leur service, plus conscientes de leur responsabilité sociale, plus promptes aux sacrifices au service de l'entreprise et de l'emploi. Pour moi, elles s'illustrent surtout par leur inclination à prendre plus de risques, et à réinvestir leurs dividendes. Enfin, elles résistent mieux aux crises.